Lundi 14 mars 2022, le journal Le Figaro a donné la parole au Pr Sèbe, Chef de service de chirurgie urologique, à travers une tribune consacrée aux cancers urologiques et à la formation des praticiens, parue dans ses pages Santé :

Sebe

L’urologie est la spécialité médicale qui s’intéresse aux reins, aux voies urinaires, à la vessie, à la prostate et à l’appareil génital masculin (avec l’andrologie). Les urologues prennent en charge des pathologies très diverses : fonctionnelles, infectieuses, obstructives, malformatives, dégénératives ou traumatiques, liées à l’insuffisance rénale terminale et les cancers uro-génitaux. Comme beaucoup de disciplines, l’urologie présente un versant médical et un versant chirurgical. Dans la plupart des cas, il y a alors deux spécialités distinctes ; en gynécologie par exemple, il existe des gynécologues médicaux et des chirurgiens gynécologues, qui suivent des formations finales différentes. Mais ce n’est pas le cas en urologie : les urologues doivent maitriser les aspects médicaux et chirurgicaux, même si, de fait, ils se spécialisent de plus en plus dans l’une ou l’autre des pratiques. Le maintien de cette double maitrise devient complexe, d’autant que depuis la dernière réforme de l’internat, le cursus de formation des chirurgiens a perdu plusieurs centaines d’heures de formation. On ne peut plus, dans un cursus commun, être suffisamment bien préparé sur tous les fronts.

Concrètement, les internes d’urologie font souvent face à des dilemmes, notamment pour se spécialiser dans la prise en charge des cancers uro-génitaux. Il est important de rappeler que la chirurgie est aujourd’hui l’un des traitements les plus efficaces contre ces maladies : quand elle est possible, elle a pour but de guérir, contrairement à la plupart des médicaments qui ne font qu’allonger la survie sans intention curative. La maitrise de la chirurgie est donc primordiale pour un système de santé : elle apporte des années de vie supplémentaire, et permet de réaliser des millions d’euros d’économie en évitant des traitements médicamenteux de plus en plus onéreux. Au fur et à mesure des avancées technologiques et scientifiques, la chirurgie urologique anti-cancéreuse s’est complexifiée, avec notamment le développement de la robotique. Il devient désormais essentiel de se former spécifiquement à ces gestes techniques, pour devenir pleinement chirurgien des cancers uro-génitaux.

Ressources limitées

Mais pour un apprenti urologue, la spécialisation complémentaire vers la cancérologie se heurte à deux écueils majeurs. Le premier est la grande dilution de cette activité dans nos établissements de santé. Pour obtenir l’agrément de chirurgie des cancers uro-génitaux, il faut réaliser 30 interventions majeures par an et par établissement. Ce qui est peu : un service d’urologie avec 3 chirurgiens, qui réalisent chacun une intervention cancérologique par mois, est au-dessus du seuil. Peu d’hôpitaux sont donc à même d’assurer une formation spécifique.

Le 2ème écueil est que cette spécialisation complémentaire n’est pas obtenue en pratiquant un certain nombre d’interventions chirurgicales, mais en réalisant des stages dans des services de cancérologie et de radiothérapie, pour avoir le droit de prescrire des médicaments anti-cancéreux (hors chimiothérapies). C’est le versant médical de la spécialité qui est valorisé et reconnu. Et l’urologue qui s’oriente dans cette voie se heurte frontalement aux cancérologues, prescripteurs des mêmes thérapies. En suivant cette formation, l’urologue a une spécialité complémentaire en cancérologie reconnue, mais il ne peut pas prescrire tous les traitements anti-cancéreux sur le versant médical, et il a sacrifié une partie de sa formation sur le plan chirurgical.

C’est donc à contrecourant que l’urologie reste aujourd’hui encore une spécialité médico-chirurgicale. L’explication est à trouver dans les liens entre ses organisations professionnelles et l’industrie. En effet, qui dit spécialité dit société savante, et donc association loi 1901. Pour être financée et travailler correctement, une société savante se rapproche de grands financeurs, au premier rang desquels les industriels. Et selon la spécialité, le type d’activités et de gestes qui lui sont associés, il y a plus ou moins de liens possibles avec l’industrie, et donc de financements.

Pour l’urologie, il est donc vital d’avoir des urologues orientés vers le versant médical, potentiels prescripteurs des nombreuses molécules produites par les laboratoires pharmaceutiques. En revanche, côté chirurgie, les ressources potentielles sont plus limitées. Pour conserver une organisation professionnelle correctement financée, le choix a été fait de ne pas scinder la spécialité, et dans les faits, les apprentis urologues sont plutôt incités à s’orienter vers les aspects médicaux de l’urologie, au détriment des aspects chirurgicaux. Finalement, la chirurgie urologique semble laissée pour compte sur cet échiquier des relations entre industriels et organisations professionnelles, alors même que pour certaines prises en charges hautement expertes, comme celle des cancers uro-génitaux, c’est bien sa maîtrise qui permet de sauver des vies.

Professeur Philippe Sèbe
Chef du service de chirurgie urologique du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon

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